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mercredi 1 mai 2024

Pensées du moment sur Elektra


Là aussi, tirées d'un compte-rendu de concert sur Diaire sur sol, quelques remarques incidentes sur l'harmonie, l'orchestration, le livret… et les carrières opposées de deux chanteuses. Je pense qu'elles pourront être relues dans quelques années, moins périssables qu'un souvenir de concert.

Je venais de relire au piano, la veille de ce concert, les premières scènes de l'œuvre : servantes, « air » d'Électre, premier duo avec Chrysothémis. J'avais été frappé par la simplicité paradoxale de la pensée harmonique, comme une suite de dégringolades des mêmes empreintes d'accords, et, sous des apparences de sophistication, des enchaînements de dominante, comme avec une sensible qui produit une tonique, à l'infini, en glissant simplement d'un ton à un autre par le jeu du chromatisme. Dit sans les fanfreluches techniques : c'est une musique qui paraît faire miroiter mille aspects du même principe tension-détente, à la base d'à peu près tous les styles de l'histoire de la musique européenne depuis 1600 (hors atonalités du XXe). Un accord qui appelle, un accord qui résout. La base de toute la musique tonale, réduite à sa seule fonction la plus fondamentale, mais expérimentée dans une gigantesque variété de configurations, avec des accords de natures très diverses (tandis que leur fonction semble demeurer largement identique).

J'aime bien sûr toujours autant le premier duo avec Chrysothemis. En salle, quelques détails me frappent dans les sections que je n'ai jamais déchiffrées.
Par exemple, lorsque Clytemnestre fait son entrée, les flûtes y ressemblent beaucoup à celles du War Requiem – « Bugles sang », dans le Dies iræ… Mais aussi le célesta qui annonçait les confidences de la Reine, s'emballant sur les menaces qu'elle profère envers sa fille pour obtenir les secrets du rite qui lui rendra le repos sans rêve. L'annonce de la mort d'Oreste se fait sur un motif qui me paraît (il faudra vérifier à la lecture) une version inversée du thème utilisé pour la Reconnaissance. Et pendant l'interlude de la Reconnaissance, le thème d'Elektra se mélange à celui de l'attente, qui enflait depuis l'entrée d'Oreste incognito (une suite de rythmes pointés, au hautbois notamment, sur des intervalles de seconde mineure).

Sur le plan du livret, alors même que je note cette fois tout particulièrement la mention des gens de la maison qui sont victorieux et pour beaucoup blessés, comme autant de vies superfétatoires auprès des grands modèles de leurs souverains... je me rends compte que la mise en scène de Stuttgart creuse manifestement ce sillon, avec une fin d'opéra particulièrement sanglante – il est fréquent que les metteurs en scène s'appuient sur la froideur d'Oreste et l'absence de son retour sur scène pour le décrire en ambitieux insensible, mais ici le trait a porté plus loin, jusqu'au massacre de ses sujets (Chryso y compris), qui se trouve bel et bien suggéré par l'explicite du livret !

[…]

Je me suis fait la remarque du contraste particulièrement frappant entre deux carrières : Iréne Theorin creuse son sillon sur les quelques mêmes rôles de veine hochdramatisch, les plus lourds du répertoire germanique, sans que la voix ait bougé d'un pouce ; Violetta Urmana au contraire a circulé entre Verdi et Wagner, a commencé mezzo, viré soprano alors que sa carrière était déjà très avancée, est assez vite retournée à des rôles de mezzo (lorsque l'instrument s'est abîmé). Une inamovible, une itinérante.

Sur l'âge des choristes


Tiré d'un commentaire de concert (sur Diaire sur sol) donné par Mirga Gražinytė-Tyla, le Philhar' et le Chœur de Radio-France, une pensée sur la question du statut juridico-social des artistes, et de l'impact non négligeable sur l'interprétation.

Le Chœur de Radio-France a énormément progressé sous Martina Batič et à présent Lionel Sow, il continue d'approfondir des qualités de souplesse et de couleur qui n'étaient vraiment pas ses points forts. Les timbres restent un peu gris (malgré la présence de quantité de solistes aguerris dans ses rangs : Romain Champion, Sébastien Droy, Jean-Manuel Candenot…), mais je me suis rendu compte, par contraste avec le Chœur de Jeunes financé par Audi (!) trois jours plus tôt, que je négligeais un paramètre important pour le comprendre – l'âge. Comme il s'agit d'un chœur en CDI au sein d'une institutions publique, les choristes ne sont pas embauchés à la tâche comme dans la plupart des chœurs – aussi sont-ils vraiment plus âgés que dans la plupart des chœurs du circuit. Beaucoup de chœurs ont une moyenne d'âge dans la trentaine, celui de RF semble plutôt viser la cinquantaine. Et cela joue sur les voix (le vibrato des femmes par exemple, mais pas seulement). C'est une bonne chose pour les artistes, être dans un chœur permanent (dans une maison d'Opéra ou à la Radio) représente l'un des rares postes, pour un chanteur, où l'on peut mener une vie stable et prévisible ; mais c'est une contrainte sur le plan du rendu artistique, les voix évoluent inévitablement et l'on ne remplace pas les instruments vieillissants.

Considérant cela, je trouve que le niveau démontré lors de cette soirée est tout à leur honneur, beau résultat avec des moyens pourtant plus contraints que la concurrence.

Où l'on découvre que les artistes sont meilleurs lorsqu'ils sont précaires et sous le pouvoir exclusif de tyrans toxiques comme John Mike Gardiner, William Foreman Christie et tant d'autres. Je ne sais quoi faire de ce constat.

David Le Marrec

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