Côté improvisation, du nouveau. Je m’aperçois – car je suis un garçon profond – que la pratique de l’écoute et du déchiffrage nourrit énormément : je me retrouve avec tout un répertoire de formules que je peux emprunter et combiner… C’est ainsi que je me suis amusé, après avoir déchiffré trois différents medleys de Star Wars (un officiel, deux officieux), à redéployer certains motifs (la Force, Leia…) en les superposant avec ceux de la Femme sans ombre (chasse, biche, pierre, Impératrice…) et quelques moments du Vampyr de Marschner. J’ai ainsi combiné la Force avec la Chasse, Leia avec « Er wird zu STEIN », etc. C’est assez facile de réutiliser, d’une part, et d’autre part j’essaie de réemployer des astuces pour renouveler le discours – modulations de relance le temps de trouver d’autres idées, fusées façon Arabella pour déguiser les chromatismes, ajout de neuvièmes-onzièmes-treizièmes un peu partout, nouvelles mélodies inventées à partir de mouvements mélodiques et rythmiques déjà lus…

En réalité, sauf à avoir déjà soi-même un style de compositeur, il n’est pas si difficile de réemployer des formules qu’on a déjà croisées, de les déformer, de les combiner pour créer quelque chose de neuf. C’est infiniment plus accessible que je ne l’aurais pensé, surtout en fin de séance lorsqu’on a baigné dans le langage de tel compositeur. (Évidemment, plus le langage est tardif et dissonant, moins on sent les errances et limites culturelles et/ou techniques de l’improvisateur.) De surcroît, j’ai l’impression d’avoir davantage appris de la mécanique interne de la musique en deux semaines de pratique désordonnée de l’improvisation sur un style donné qu’en un semestre d’étude méthodique ponctuelle de l’harmonie (nécessaire tout de même pour comprendre ensuite ce qu’on fait).

Attention, bien sûr, ce n’est pas du tout que j’improvise bien, très loin de là, il y a des fausses routes, des platitudes, des erreurs, et je ne fais finalement que piller mentalement des choses lues pour les enchaîner en les déformant volontairement (ou pas, ma mémoire me trahit quelquefois). Cependant je reste impressionné par le caractère très accessible de l’approche, je pensais qu’il me faudrait des semaines ou des mois avant que de pouvoir m’amuser un peu. Je ne sais pas si c’est généralisable pour les pianistes qui lisent peu de musique – le risque est alors d’être bloqué dans la petite zone de confort des quelques enchaînements qu’on connaît, comme je l’avais vécu dans mes précédentes tentatives où j’avais voulu improviser dans « mon style » et en ne faisant pas de « fautes », ce qui avait conduit à l’enfermement dans les plus conventionnels des schémas, et l’impossibilité de faire évoluer le discours ou de produire quoi que ce soit de stimulant.

Mais en acceptant le jeu du pastiche et la possibilité de l’erreur, en se concentrant moins sur l’intérêt de ce qu’on produit que sur les processus (et en lâchant prise aussi, je retrouve les impressions « d’écriture automatique » que j’ai parfois en jouant des partitions difficiles, où au bout d’un certain temps mes doigts inventent des morceaux du spectre sonore en restant dans le style, sans que ma tête commande grand’chose…), on peut accéder à une compréhension assez passionnante et plus intime du processus de composition. (Du moins, d’un fragment de celui-ci.) Incroyable aventure que je recommande – de surcroît on tend à improviser à son propre niveau technique, ce qui veut dire qu’on rencontre moins la barrière de la difficulté pratique.