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L'opéra contemporain, ses difficultés, ses enjeux

Il y a, je crois, de nombreuses raisons pour lesquelles l'opéra contemporain est en crise.
Et je crains que ce soit pas que conjoncturel, mais qu'il y ait aussi en quelque sorte une difficulté ontologique du langage contemporain à se fondre dans l'opéra.

Je vais tâcher de détailler un peu.


1) D'abord, la baisse des commandes.

  • L'opéra coûte cher, la musique contemporaine séduit peu. On ne peut pas investir infiniment.
  • Les effectifs souvent énormes, le haut degré de virtuosité réclamé, la difficulté de la mise en place qui force à augmenter le nombre de répétitions augmentent les coûts.
  • On dispose d'un nombre très important d'opéras anciens au répertoire. Nous maintenons un musée de quatre siècles en état, avec un nombre toujours croissant de titres, ce qui n'était pas le cas auparavant !



2) La baisse des envies.

  • L'opéra n'est plus le genre-roi, il n'y a donc plus de nécessité de composer pour lui.
  • Au contraire, les compositeurs préfèrent la musique pure, voire méprisent ce genre imparfait, dans lequel :
    1. les instruments (vocaux) sont limités
    2. un texte vient parasiter la pureté esthétique de leur propos.
  • Composer un opéra est un travail immense, surtout pour des pièces de cet effectif, de cette complexité.
  • Or un opéra sera peu repris, et le plus souvent pas du tout. Financièrement, pour un an de composition minimum, je ne sais pas si c'est rentable, mais en termes de notoriété et de jeu, pas du tout.
  • Le public d'opéra est souvent peu séduit par la musique contemporaine, et inversement. Peu de succès envisageable, peu de publicité positive.
  • Le risque de se planter est donc en plus énorme, surtout si les interprètes ne se mouillent pas assez.
  • Naturellement, les grands interprètes ont un planning trop chargé, soignent trop leur voix, veulent s'assurer des succès et ne se risqueront pas dans ce genre d'aventure qui demande trop de temps, comporte trop risques et ne rapporte rien si ce n'est des trous dans leur saison. C'est en partie leur faute aussi si les ouvrages n'ont pas beaucoup de public et ne sont pas acclamés.



3) Plus grave ; le problème esthétique. La musique contemporaine est-elle soluble dans l'opéra ?

  • Evidemment, la question ne se pose pas vraiment pour les noétonals, qui sont les plus favorisés pour écrire un opéra écoutable (à défaut d'être intéressant musicalement et dramatiquement, je n'entre pas dans ce débat pour l'instant). Il y a aussi des atonals lyriques (Lars Ekström ou Ivan Fedele, par exemple).
  • L'abolition du sentiment culturel de tension/détente rend délicat l'agencement d'un drame. Comment faire vivre une intrigue si l'on n'avance ni ne recule jamais, si tout est dans l'hédonisme (plus ou moins bousculé qui plus est) ?
  • A cela s'ajoute le goût parfois saugrenu de spectacles plus ou moins conceptuels, délibérément sans action. Si peu qu'on ne comprenne pas le texte (inaudible ou allusif), c'est la catastrophe.
  • Après m'être posé longuement la question, je crois qu'il y a aussi, tout simplement, une question physique.
    1. Le chanteur est physiquement plus à l'aise dans une écriture mélodique conjointe, ou à tout le moins avec de petits intervalles. Contrevenir à cette règle rend le chant plus tendu, moins agréable car l'interprète force nécessairement.
    2. Le fait de forcer la voix à chercher des registres peu utilisés, de lui faire exécuter des sauts d'intervalle importants rendent le texte peu intelligible à cause des hauteurs utilisées. Même avec le livret sous les yeux, il est très désagréable de n'entendre que des voyelles.
    3. Surtout, ces procédés écartent la voix du mimétisme de l'inflexion parlée, et lui ôtent donc pour partie ses possibilités expressives - ce qui , on en conviendra, est plutôt fâcheux pour le genre Opéra qui perd alors considérablement de son intérêt.



Tout cela ne remet pas en cause l'esthétique employée elle-même, mais pose bien la question de son adéquation à l'Opéra. Qui plus est avec une littérature pas forcément "d'intrigue", celle du vingtième siècle. Car il y a cela aussi en musique : la recherche de la forme pour le vertige de la forme.
Je crois qu'il faut savoir adapter son langage au genre Opéra, et cela, peu de fiertés de compositeurs l'acceptent. Certaines voies intermédiaires ont très bien réussi : Holliger, Rautavaara, Udo Zimmermann, Saariaho, Fedele, Reverdy, Ekström. Et puis les tonals ou approchants : Landowski, Daniel-Lesur, Aboulker...

L'opéra est peu compatible avec l'abstraction de la recherche musicale (exception notable : Machinations, pour ordinateur et quatre voix de femme de George Aperghis). Il est donc plus difficile aujourd'hui de faire un bon opéra qu'avant-hier. Et de façon simple, l'opéra contemporain rencontre aussi les mêmes problèmes d'acceptation par le public que l'opéra, que la musique contemporaine, et que la littérature du vingtième siècle... Le fait d'aimer les trois étant nécessaire, mais n'incluant pas nécessairement d'adhérer au genre ! Le parangon même de la niche culturelle. -<;oD

David - vilaincorbeau


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Commentaires

1. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par kfigaro

Dans l'esprit du grand public en tout cas, c'est peut être le cinéma qui a tout simplement plus ou moins remplacé l'opéra "dramatique" et les mélodrames qui se pratiquaient encore jusqu'à Puccini... ce n'est pas un hasard si des films (remplis de musique) comme "Le seigneur des anneaux" font autant d'entrées, ce qui fonctionnait à l'époque de Wagner, Rimski Korsakov ou de Rameau (machineries, légendes fantastiques, etc...) "fonctionne" maintenant au cinéma...

Sinon, pour en revenir à ton excellente réflexion, je ne sais pas si l'opéra subit vraiment une crise (du moins par rapport à l'ensemble de la musique contemporaine), personnellement je considère un opéra comme "Les trois soeurs" d'Eötvös comme essentiel à la fois dans le parcours du compositeur mais aussi dans l'ensemble des oeuvres savantes de ces 10 dernières années...

2. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Oui, le cinéma a pris le côté épate facile de l'opéra. C'est tant mieux, mais ça ouvre aussi la voie à l'exploitation arido-branchouille de la création.
Ca n'en reste pas moins très largement un bien.


"Sinon, pour en revenir à ton excellente réflexion, je ne sais pas si l'opéra subit vraiment une crise (du moins par rapport à l'ensemble de la musique contemporaine), personnellement je considère un opéra comme "Les trois soeurs" d'Eötvös comme essentiel à la fois dans le parcours du compositeur mais aussi dans l'ensemble des oeuvres savantes de ces 10 dernières années..."

Je ne dis pas qu'il n'y ait pas d'oeuvres intéressantes, bien au contraire. Mais on remarque que les commandes sont moins nombreuses. Il faut dire qu'il n'y a plus de recettes pour composer dans un style, qu'un compositeur recherche toujours des formes originales, désormais, même au sein de son propre corpus, et que ça prend donc du temps - surtout que le pauvre bougre qui rentre du boulot et allume la radio n'a pas passé la journée à réfléchir à des techniques de composition sophistiquées, et n'a pas forcément envie de faire d'efforts surhumains pour comprendre ce qui se passe. Il y a aussi le bannissement, vu les exigences extravagantes en ensembles originaux et en virtuosité, de la pratique amateur. Qui peut préparer son piano ? Qui peut réunir un trombone piccolo, un alto semi-octaviste, un chanteur diphonique et un hautbois contrebasse pour son amusement ? Qui dispose des moyens de traitement informatisés du son made in Ircam ? Sans parler des exigences invraisemblables en virtuosité. (Et ce, pour un accueil glacial du public, mais passons.)

En outre, les ratages sont dans une proportion remarquablement accrue par rapport aux temps passés. Pour tout dire, le nombre de ratages est infiniment supérieur à celui des réussites.

C'est cela qui m'a amené à réfléchir.


Concernant Eötvös, ce n'est pas l'exemple que j'aurais pris, car j'ai détesté tout ce que j'ai pu entendre, tout particulièrement l'infâme Angels of America : racoleur, fourre-tout, gratuitement prosaïque et laid. La seule chose potable a été pour moi (en musique vocale, le reste étant plus digeste) l'insipide Atlantide.

3. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par Inactuel

Bonsoir,

je vais peut-être dire une grosse bêtise mais Eötvös (que je connais pas ou très mal, un vague souvenir de souvenir), n'est-il pas proche stylistiquement de Peteris Vasks (né en 1946) dont je ne connais que le quatuor n°4 ? A moins que se soit l'inverse ?

D.

4. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir !

Je ne pense pas, si ce n'est une inspiration parfois folklorique. Vasks est largement tonal (ou du moins modal, selon les pièces), tandis qu'Eötvös ne l'est pas, dans un style très profusif, aux sonorités bigarées.

Mais je constate que vous avez d'excellentes fréquentations musicales...

5. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par kfigaro

pour Eötvös (je ne connais pas son Angels of America), réessaye quand même "Les 3 soeurs", je trouve que les alliances de timbres (parfois spectrales) sont vraiment très réussies (et je ne suis pas le seul à le dire ;)). Les mélodies des contre-ténors distillent une mélancolie finalement pas si éloignée de certaines mélodies de Moussorgski (cela dit, c'est peut être aussi la langue russe qui veux ça...), en tout cas, c'est l'impression que j'ai eu, c'est vraiment un opéra poignant (pour moi en tout cas)... pour "Atlantis" j'aime bien aussi, mais je préfère "Jet stream" (plus jazzy), j'aurai l'occasion d'en reparler sur "Chants éthérés" de toute façon... il faudrait aussi que je réécoute son vieil opus "Chinese opera" qui s'interroge justement sur la "mise en scène" mise en musique (Chéreau, etc...)

Sinon, j'ai entendu du bien de l'opéra de Helmut Lachenmann : "La petite fille aux allumettes" également, mais je ne l'ai jamais entendu pour le moment, le connais tu, David ?

6. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Je réessaierai Trois Soeurs, dont le souvenir est lointain.
Mais j'ai détesté Le Balcon, j'ai très vite décroché.
Quant à Lachenmann, je n'ai entendu que du mal de La petite fille aux allumettes, mais surtout de la part d'amateurs d'opéra il est vrai, les autres ne l'ayant pas entendue - ce qui nous ramène une fois de plus à mon propos dans cette note sur la niche "opéra contemporain"...

Apparemment, Lachenmann voulait faire un non-opéra, et le résultat a été en conséquence... J'avoue que ce n'est pas le premier que j'aurais mis sur ma liste de voeux pour composer un opéra. Je l'aime bien par ailleurs, mais à l'opéra, je doute fort.


J'attends avec impatience tes notices !

7. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par kfigaro

j'aimerai aussi beaucoup entendre ceux de Rautavaara (que j'apprécie assez), sais tu si ça existe en CD ?

Sinon dans un autre registre Levinas et Dusapin ont composés pas mal d'opéras également (mais je connais mal, et il n'y a pas toujours de disques là encore :?)

8. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Il y a au moins deux opéras de Dusapin au disque. Quant à Rautavaara, ça se trouve aisément.

Rautavaara est un compositeur d'opéras prolixe. La liste de ses travaux lyriques est impressionnante.

Notamment :

- Kaivos (1958-1963)
- En dramatisk scen (1970)

Une trilogie kalevalesque :
- Sammon ryöstö ("Runo 42", 1974 refait en 1982)
- Marjatta (1975)
- Thomas (1982-1985, publié par Ondine en 1986)

- Vincent (d'après la vie de Vincent van Gogh, 1982-1983, publié par Ondine en 1990)
- Aurigon Talo (1989-1990, publié par Ondine en 2003)
- Tietäjien lahja (1993-1994, opéra de chambre pour la télévision finlandaise)
- Aleksis Kivi (1995-1996, publié par Ondine en 2002)
- Ja Rasputin (2003)

J'ai des doutes sérieux sur la disponibilité de Vincent.


Sans hésiter, c'est Aurigon Talo qui faut connaître en premier - La Maison du Soleil, tragédie-bouffe en un acte (composée en 1991). La notice annonce The House of Sun, mais c'est bien chanté en finnois.

Un oeuvre absoluement magnifique, une très grande réussite de l'opéra contemporain. Chose très rare dans ce répertoire, Rautavaara ménage de splendides ensembles. L'oeuvre s'ouvre par un duo homophonique soprano/mezzo dans le plus droit héritage de l'opéra russe. Les couleurs s'y déversent à profusion, dans un langage très largement tonal.
De toute façon, l'écriture musicale, avec ses tensions, ses détentes, les envolées de ses ensembles, rappelle plus les choeurs nordiques traditionnels, le Muoocaaeyiywcoum de Hillborg ou Alfano que la musique contemporaine "investigatrice".
L'invention orchestrale, dans Aurigon Talo est en effet très limitée (avec l'usage ridicule de l'électronique pour produire deux malheureux sons étriqués alla Jarre) : souvent, c'est une trame continue, qui soutient le lyrisme intense d'ensembles très émouvants.

Ma principale réserve serait que le résultat est un rien sucré. Sinon, tout fonctionne remarquablement.


Sinon, la production de Rautavaara est, par essence, très hétérogène en qualité.
Il y a des oeuvres de peu d'intérêt.

Je ne déconseille pas forcément Aleksis Kivi pour une première approche. Rautavaara y utilise un langage dodécaphonique, mais appliqué à des accords tonals, ce qui donne un résultat à fois instable et familier, dans un climat très onirique. L'action est hélas un rien statique.
L'ochestre est à peine moins indigent que pour Aurigon Talo, il y a aussi des sections parlées.

Aleksis Kivi traite du fameux poète en dédoublant le vieil ivrogne et le jeune amoureux idéaliste. Le vieil Aleksis est incarné, dans la version publiée chez Ondine, par le légendaire Jorma Hynninen. C'est également le cas des rôles-titre de Thomas et Vincent. Ce qui n'empêche pas que la distrbution d'Aurigon Talo est de loin plus homogène et convainquante que celle de Kivi, à mon sens.


Voilà, à toi de faire ton marché ! ;)

9. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

J'ai oublié Levinas. Entendu Les Nègres, un bric à brac épouvantablement vilain. Mais comme tu aimes Eötvös, il n'est pas exclu que apprécies. ;-p

10. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par kfigaro

merci pour toutes tes infos (reste à dénicher tous ça...) ;)

11. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Tu trouveras Aurigon Talo et Kivi sans peine. Thomas doit encore être dénichable.

Le début de Kivi a quelque chose... d'éthéré.

12. Le vendredi 27 janvier 2006 à , par kfigaro :: site

Bonjour David,

Je suis en train d'écouter le "Aurigon Talo" de Rautavaara qui est effectivement splendide et que tu décris admirablement (difficile de faire mieux ! :) on entend presque l'oeuvre en lisant tes mots). C'est un opéra qui est digne des meilleurs opus de ce genre, je suis d'accord (j'ai pensé un peu parfois à Britten - autre grand Monsieur de l'opéra "tonal"), et c'est très peu sucré en fait (à part quelques mesures notamment au début... pas de quoi fouetter un chat...), comme quoi Schoenberg avait raison quand il prédisait qu'on pouvait écrire de fort belles choses dans un langage tonal (bon, je déforme un peu son propos pour l'adapter au sujet en cours) ;)

Je compte faire un petit papier dessus la semaine prochaine sans doute mais ce sera plus succinct et moins savant que toi ;)

13. Le dimanche 29 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec

Très heureux que ça te plaise !

De toute façon, je vais régulièrement sur ton Carnet, même si je ne commente pas. Notamment un très très bel article sur Messiaen que je recommande chaleureusement à tous les lecteurs qui viendraient s'égarer par ici. Du même tonneau que le Debussy !

14. Le samedi 13 mai 2006 à , par pete shine

bonjour,

que pensez-vous des opéras de Philip Glass ?

15. Le samedi 13 mai 2006 à , par DavidLeMarrec - sur Philip Glass

Bonjour Pete,

C'est peut-être ce qu'il a écrit de mieux. Mais je ne suis pas du tout convaincu par l'écriture de Glass en général. En plus d'être minimaliste (ce qui n'est pas intégralement une tare), ses idées de départ sont très pauvres, et son orchestration inexistante.
Akhnaten, vraiment, dépasse le supportable en répétant à l'infini les mêmes cellules sans intérêt. Tout le drame est masqué par le procédé musical qui s'y exhibe.

Disons qu'il y a un côté New Age qui fait que ça doit pouvoir s'écouter, fort, avec des substances illicites. Mais de façon sobre, livret ou partition en main, c'est un véritable exploit.

Je m'explique le succès de Glass justement parce que sa musique est très accessible, et qu'elle a des échos dans la musique plus pop, ou qu'elle donne l'impression d'accéder à la difficile musique contemporaine, mais sans réclamer d'efforts pour comprendre comment cela fonctionne.

Glass est justement le symptôme de cette hypercomplexification du monde musical : au lieu d'en choisir un au hasard, et de s'acharner pour finalement se rendre compte qu'il ne plaît pas, on choisira un compositeur, comme Glass, qui soit directement intelligible, une bouée au milieu de l'Océan.
Il n'empêche que sa musique est, de toutes celles que j'ai écoutées, l'une de celles qui ont le moins d'intérêt (ex-aequo avec le Chevalier de Saint-George).


J'imagine que si vous me posiez la question, vous devez avoir quelque intérêt pour Philip Glass ; j'ai tâché de vous répondre très sincèrement.
Incontestablement, il a trouvé un public, et ce n'est pas à moi de juger si c'est pour de bonnes raisons ou non. Simplement, je constate que la démarche n'est pas la même ; la musique de Glass s'inscrit dans un paradigme de réception qui est plutôt de l'ordre du physique, du transiel, comme la techno, par exemple. Bien que les compositeurs contemporains intègrent généralement cette composante, ils demeurent dans une forme d'écriture qui est plus à penser.

Voilà pour mon avis.

16. Le mercredi 8 novembre 2006 à , par gael :: site

Bonsoir
Réflexions interessantes que je tiens à pondérer :
Les artistes lyriques sont, au contraire, ravis de pouvoir chanter de nouvelles pièces, opera, oratorio ou mélodie. Encore faut-il que le compositeur tienne compte de l'instrument utilisé. Vous parlez d'intervales difficiles, Strauss est un spécialiste de ce type d'écriture, Ravel en est un autre, pourtant c'est un plaisir que de chanter ces deux compositeur.
Vous parler de partitions ou de livret en main lors d'un opera. Que venez vous faire dans un théatre si c'est pour lire ? Autant écouter un cd, non ?
N'oublions pas que l'opera est un spectacle vivant, il peut faire réflechir et enrichir une réflexion, mais il est aussi la pour divertir, émouvoir, surprendre. C'est la vocation première de la musique que de toucher les coeurs.
Rajoutons à cela que l'opera est un genre moribond en France, mais extrèmement vivant dans d'autre pays, en Norvège ou en Finlande par exemple où les créations sont légions.

17. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Gael,

Les artistes lyriques sont, au contraire, ravis de pouvoir chanter de nouvelles pièces, opera, oratorio ou mélodie.

Je me garderais bien de le généraliser. Je connais pas mal de cas où la réticence est très forte, que ce soit à cause de la difficulté de mémorisation, de l'inintelligibilité de la musique (entre les pièces-happeing et celles qui échappent à la compétence d'analyse harmonique des chanteurs...), ou tout simplement par manque d'affinités avec le genre.

Ensuite, oui, au delà des déclarations de façade, certains sont ravis de participer à des oeuvres contemporaines. Mais très peu de chanteurs très renommés le font régulièrement. Souvent, ils s'engouffrent dans des pièces néo (parfois très belles). Je pense par exemple au beau plateau de The Tempest d'Ades oun bien sûr, de Wintermärchen de Boesmans.


Encore faut-il que le compositeur tienne compte de l'instrument utilisé.

C'est tout le problème que je soulève. On peut repousser la tessiture d'un basson, mais pour une voix, cela soulève des problèmes physiologiques, voire de santé vocale - sans parler du texte qui devient inintelligible ou, au mieux, inexpressif.

Vous parlez d'intervales difficiles, Strauss est un spécialiste de ce type d'écriture, Ravel en est un autre, pourtant c'est un plaisir que de chanter ces deux compositeur.

C'est encore une autre question.
Strauss n'écrit pas que des intervalles inchantables (si on prend Intermezzo, Capriccio, et toute une partie d'Ariadne...). C'est en partie le cas dans Elektra, Salomé et surtout Die Frau ohne Schatten. Dans ce dernier cas, malgré la beauté de la musique, il faut reconnaître que die Färberin et même die Kaiserin sont très mal écrites pour la voix, oui. Il n'existe à ma connaissance aucune Teinturière qui ait pu rendre son rôle intelligible. C'est un vrai problème, et c'est à mon sens une faiblesse forte de Strauss dans cet ouvrage.
On a cependant en contrepartie une intrigue à peu près claire, et une musique qui, instinctivement, se comprend. Dans pas mal d'opéras contemporains, ces paramètres que je ne rejette pas, isolés, se combinent de façon réellement problématique.

Quant à Ravel, si on rencontre des intervalles piégeux - par exemple dans les innocents mais terribles Mallarmé -, le tout reste chantable, et surtout, conçu pour être compris, avec un respect prosodique scrupuleux. L'Heure Espagnole, en cela, est l'antithèse de Pelléas : elle ne réinvente pas une prosodie musicale, elle imite pleinement - et parfaitement - la langue parlée, à un niveau d'aboutissement que seuls Landowski ou Daniel-Lesur ont pu approcher, à ma connaissance.

Lorsque je parle d'intervalles problématiques, ce sont bien des intervalles qui déforment la prosodie et qui sont meurtriers pour la voix. Ravel n'est concerné par aucun des deux critères, Strauss seulement par le second.
Ensuite, ils peuvent être difficiles à mémoriser ou à réaliser, c'est une autre question.


Vous parler de partitions ou de livret en main lors d'un opera.

Je parle surtout de difficulté des partitions et de nécessité d'intelligibilité du livret sans l'avoir sous les yeux dans une salle noire (surtout s'il n'est pas édité !).


Que venez vous faire dans un théatre si c'est pour lire ? Autant écouter un cd, non ?

J'y viens pour ce que je veux ! Vous n'ignorez pas qu'il existe une dimension physique particulière au concert.

Par ailleurs, ce n'est pas ce que je dis : je réclame au contraire un minimum d'intelligibilité du texte, qui dispense de la lecture, justement.

Ensuite, si vous voulez dire (je ne sais) qu'on se fiche du texte, ce n'est pas du tout mon cas, je suis plutôt dans l'espérance de l'exaltation d'un texte par la musique que dans l'idée d'une musique prenant pour prétexte un texte quelconque. Les deux attentes sont distinctes, elles coexistent, tout simplement.


N'oublions pas que l'opera est un spectacle vivant,

Exactement. Il doit donc demeurer un minimum intelligible, à tout point de vue, s'il n'est pas uniquement un objet d'étude, mais aussi de réception.


il peut faire réflechir et enrichir une réflexion, mais il est aussi la pour divertir, émouvoir, surprendre. C'est la vocation première de la musique que de toucher les coeurs.

Hou-là !

Je me méfie toujours de l'idée que l'art se réduit à l'émotion qu'il procure. Auquel cas, les hiérarchies communément admises (et qui se discutent, j'en conviens) seraient bouleversées !

Par ailleurs, l'opéra n'est pas simplement de la musique. A l'origine, il est conçu pour renforcer l'impact de la déclamation théâtrale - une extension du théâtre. Depuis, il est largement tombé dans l'escarcelle de la musique, mais les deux conceptions existent, et il n'est pas possible de trancher en un instant et catégoriquement que l'opéra est d'abord de la musique, et d'abord là pour émouvoir.
Il y a bien des façons de le recevoir. Certains pour le plaisir vocal, d'autres pour le plaisir musical, d'autres encore par la fascination du mot façonné, déformé, refaçonné, d'autres enfin pour l'émerveillement devant une forme d'art intégral...


Rajoutons à cela que l'opera est un genre moribond en France, mais extrèmement vivant dans d'autre pays, en Norvège ou en Finlande par exemple où les créations sont légions.

Moribond en France ? Je n'en suis pas si sûr. En tout cas, il reste bon nombre d'enthousiastes, et selon les villes et les titres, les salles sont pleines.

Mais les pays nordiques sont précisément ce que je cite en modèle. Tout en réalisant de nombreuses créations, le langage demeure assez hybride, pas forcément tonal ou sage, mais souvent attentifs au texte, à la ligne, à l'intelligibilité.
Par exemple Lars Ekström, Einojuhani Rautavaara ou Aulis Sallinen (qui est pour le coup bien sage).

Sans oublier les très nombreuses oeuvres chorales de Hillborg, Nørholm, Rautavaara, Górecki, Vasks, Tormis, etc.

18. Le jeudi 2 juillet 2009 à , par Marcel

Cette phrase! "Le fait de forcer la voix à chercher des registres peu utilisés, de lui faire exécuter des sauts d'intervalle importants rendent le texte peu intelligible à cause des hauteurs utilisées."
...cette phrase suppose que la musique moderne n'est affaire que de larges intervalles disjoints. Quelle inculture! Le compositeur et philosophe Hugues Dufourt, en 1979 déjà, fit une critique largement écoutée de "l'art de l'éclat et du contraste" (le style sériel des années 50) - une critique en mots et en oeuvres : c'est ce qu'on appela le mouvement "spectral". Depuis lors, avec ou sans rapport avec cette critique décisive, se sont déployées toutes sortes de vocalités totalement étrangères à l'éclatement intervallique : Boesmans, Dusapin, Saariaho, Aperghis - enfin, presque tous. Il n'y a guère que quelques profs de facs américaines à pasticher ad nauseam le Marteau sans Maître - et puis vous, vous qui n'écoutez rien, selon toute apparence, et prétendez brosser de vastes synthèses à l'usage de la bourgeoisie de province.

19. Le jeudi 2 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Marcel,

Soyez le bienvenu en ces lieux, et ne comptez pas que vos manières, certes perfectibles, soient de nature à me faire oublier l'hospitalité sacrée.

Puisque vous parlez de synthèse, vous avez fort bien compris qu'il s'agit d'un propos général et qu'on pourra, çà et là, trouver des exceptions, dans certains Rihm comme l'Eroberung, dans certains postdebussystes comme Daniel-Lesur, et tout ce qu'on voudra chez les néo et les répétitifs. Il n'empêche que le mouvement général, depuis toujours pour ainsi dire, et de façon particulièrement dangereuse pour les voix et l'intelligibilité depuis Wagner environ, va vers l'extension des tessitures et la défragmentation des lignes autrefois conjointes.

Je m'émerveille de vos exemples, parce que les quatre compositeurs que vous citez, qui sont en effet des piliers de l'opéra contemporain, soit par le nombre de commandes, soit par leur rayonnement dans l'imaginaire stylistique général, utilisent précisément des intervalles très éclatés par rapport aux époques précédentes.

Leur langage n'est pas, effectivement, assimilable à celui des sériels durs, et si vous m'aviez lu, vous vous seriez aperçu que je traite, certes par la marge, la question de la multiplicité des écoles... mais ils ont hérité d'eux (et tout simplement d'un mouvement qui s'observe chez les Germaniques depuis Wagner) une manière de traiter la voix qui force l'instrument, avec précisément de grands intervalles. Si vous fouillez sur CSS, vous en saurez plus, je vous assure.

A présent, si vous pouvez me prouver, puisque c'était le sens de la phrase que vous citez, que l'écriture musicale du Boesmans d'Yvonne, de l'ensemble des Dusapin, de l'Amour de loin ou des opéras phonématiques d'Aperghis rend le texte chanté plus intelligible que chez Monteverdi, Rossini, Marschner ou Gurlitt, je battrai volontiers mon chapeau (à défaut de manger ma coulpe, ce qui serait quelque peu pénible).

C'est pourquoi, cher Marcel, considérant que vous êtes entré chez moi sans même me saluer, sans parler de me lire, je vous prierai bien humblement, si vous voulez bien passer dans la pièce à côté et accepter d'endosser une harde que je vous prêterai bien volontiers, d'aller vous rhabiller.

Bonne journée !

20. Le vendredi 3 juillet 2009 à , par Kia

Je crois surtout que le lâche commentateur anonyme a des problèmes de lecture: il n'a pas compris que l'on faisait référence à l'intelligibilité du texte et non de celle de la musique...
Et je te rejoins là, maudit provincial: le glissement du texte qui devient instrument obéissant aux mêmes règles que le reste de l'orchestre vu par l'esthétique contemporaine casse totalement la notion de confrontation entre littérature et musique...

21. Le vendredi 3 juillet 2009 à , par DavidLeMarrec

Bah, ça arrive à tout le monde de faire erreur en ne sachant pas où on débarque (en l'occurrence, c'était une requête Levinas / Lachenmann... le ton de CSS était peut-être en décalage avec les hautes visées philosophiques attendues).
Je crois comme toi avoir été lu un peu rapidement sur la question de l'intelligibilité où la défense des contemporains cités me paraît compliquée.

Personnellement, cette implosion de la prosodie me pose vraiment des difficultés (en plus des livrets totalement abscons ou désarticulés, malheureusement fréquents), d'autant que le langage musical est lui-même plus complexe et moins séduisant que par le passé. Plus d'efforts pour moins de plaisir.

C'est en cela que les opéras un peu rétrogrades comme Julie font un carton, et que des néodebussysmes dans le genre de la Reine Morte de Daniel-Lesur sont des bénédictions (un chef-d'oeuvre qui plus est).

22. Le vendredi 5 février 2010 à , par gioioa

Je vous remercie cher Monsieur David pour tous vos commentaires que je partage largement. Je pense que là nos esprits se rencontre. Je suis chanteuse lyrique.
Il est évident que le monde dans lequel nous vivons : "rapporter beaucoup financièrement pour peu de travail et pourvu que ça plaise au grand public surtout" ne peut encourager la créativité et la création de cette créativité.
Personnellement, je suis passionnée et toujours prête à faire entendre ce qu'il me semble bien écrit avec un bon choix de livret, bien sûr - je profite d'un public appréciant mon "italiannité" et j'ose leur faire entendre tout autre chose afin de les sensibilisés... mais nous sommes rares car effectivement ça ne rapporte pas gros et c'est un cercle vicieux - il faudrait de la bonne volonté aussi au-dessus de nous... et aussi une conscience de la part de l'artiste - conscience de ces propos si pertinents à mon bon sens.

De plus, il n'est pas si facile de trouver sur le net des précisions sur le répertoire d'opéra conotemporain. Je trouve que nous devrions avoir accès beaucoup plus facilement à ce genre de renseignement.
J'ai besoin de connaître les oeuvres écrites à partir de 1950. Il me faut en connaître une au plus tôt, et j'aimerais qu'elle soit en français ou en anglais...
Pouvez-vous m'aider ? si oui, d'avance merci !
Au plaisir de dialoguer avec vous.
La chanteuse des anges.

23. Le vendredi 5 février 2010 à , par DavidLeMarrec

Bienvenue Gioioa !

Les témoignages de courageux qui osent des oeuvres pénibles à apprendre (même si belles à entendre !) font toujours plaisir à lire - rien que de penser que certains font carrière avec Verdi là où d'autres le font avec Strauss témoigne de quantités de travail sans commune mesure...

En effet, il est malaisé de trouver des précisions sur le répertoire plus récent... et c'est la fin de la boucle du cercle vicieux : tout simplement parce qu'en plus d'être difficile et peu célèbre... ce n'est pas libre de droits ! Donc les informations écrites dessus sont elles-mêmes sous droits d'auteur, de même pour les livrets, etc. Ce qui rend l'approche de ces oeuvres encore plus complexe ou encore plus onéreuse...

Pour les oeuvres d'après 1950, il y en a quantité d'intéressantes. Il faudrait me dire dans quel cadre ce serait (par courriel si nécessaire), parce que je ne recommanderais pas les mêmes selon qu'il s'agisse d'écrire un mémoire ou de présenter un air en concert.

Comme cela, spontanément, parmi les choses accessibles ou réussies, en français :
- Colombe ou L'Héritière de Damase ;
- Le Fou ou Monségur (graphié Montségur) de Landowski ;
- La Reine Morte de Daniel-Lesur ;
- et même le maladroit mais attachant Marius & Fanny de Cosma ;
- certains Aperghis ;
- Raphaël, reviens ! de Cavanna ;
- L'Autre Côté de Bruno Mantovani.
et en anglais :
- Death in Venice ou The Turn of the Screw de Britten ;
- Sophie's Choice de Maw ;
- Doctor Atomic d'Adams ;
- 1984 de Maazel ;
- The Tempest d'Ades.

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David Le Marrec

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